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  • Paul Courtois

Le “Siècle américain”, aux origines de la force de frappe idéologique d’Hollywood

Dernière mise à jour : 28 mars 2023


Cet article s’inscrit d’une série éditoriale dédiée à Hollywood, outil stratégique de la soft diplomacy américaine, conçue par la commission Société Internationale.


L’essor d’Hollywood a permis à des tendances culturelles de dépasser les frontières. Style vestimentaire, habitudes de vie, langage... la fin du XXe siècle a vu une partie du monde s’américaniser. Jamais auparavant une entité de production audiovisuelle n’avait atteint une telle aura culturelle, sociétale ni même géopolitique. Cette influence multidimensionnelle a conduit Hollywood à être intégré à la stratégie de soft power des Etats-Unis comme un outil diplomatique à part entière.


La question mérite d’être posée : comment, de quelques campements au début des années 1910, Hollywood s’est métamorphosé en le centre de production cinématographique le plus prolifique du monde un siècle plus tard ?



Revenons aux origines du cinéma américain. En 1886, le couple Harvey et Daeida Wilcox achetait quelques hectares de terrain à quelques kilomètres du centre de Los Angeles, en Californie. La propriété fut baptisée “Hollywood”. Les producteurs de cinéma ont été rapidement séduits par la côte Ouest où montagnes, déserts, forêts et océans cohabitent sous trois cent cinquante jours de soleil par an. Ils se sont progressivement installés sur les terres du couple Wilcox et ont créé ce qui allait devenir la capitale du cinéma américain. Dans cet article, nous étudierons l’évolution d’Hollywood au XXe siècle tout en gardant un regard attentif aux intérêts géopolitiques qui se sont progressivement immiscés dans cette industrie.



La naissance d’Hollywood et ses premières prouesses techniques (1910-1930)

In Old California (17 minutes au total) est le premier film réalisé à Hollywood, par David W. Griffith, en 1910. L’année suivante s’y installe le premier studio américain, le Nestor Film Company, suivi des studios Universal dans une ville voisine en 1914 et de la Fox Film Corporation en 1917. Cette période marque le véritable début d’Hollywood [1]. Acteurs et producteurs viennent s’installer autour du Hollywood Boulevard afin d’y développer cette nouvelle industrie pleine d’ambition et d’énergie. 1927 conclut cette période avec une innovation hollywoodienne radicale : le cinéma parlant, avec la sortie de The Jazz Signer d’Alan Crosland. Véritable période fondatrice d’Hollywood, elle connaît également la construction des mondialement célèbres lettres blanches en 1924, initiée par un promoteur immobilier promouvant un nouveau lotissement en construction.



1930 - 1960 : Un âge d’or déjà soumis aux bonnes mœurs

La grande dépression de 1929 a paradoxalement profité à Hollywood, qui obligea ses entreprises à se dépasser pour surmonter des difficultés techniques. Suite à des opérations de restructuration en 1930, de grandes majors apparaissent : les “big fives” - composés de la Fox, Paramount, Metro Goldwindmeyer, RKO et Warner Bros - et les “little three” - composés de Columbia, Universal et United Artists. Des thèmes se développent et les premières icônes émergent : les films de Western s’exportent comme des petits pains (Billy the Kid de King Vidorde, 1930), John Wayne est érigé au rang de star par tous les petits garçons du monde Occidental et les films de gangsters suivis des films noirs (Tueur à gages de Frank Tuttle, 1942) prolifèrent. Le cinéma prend également des couleurs en 1939 avec Le Magicien d’Oz de Victor Fleming, premier film parlant et tourné à la caméra en couleur. Véritable période d’effervescence, les années 1930-1949 hissent au sommet de la notoriété internationale de grands noms tels que James Dean, Kirk Douglas ou encore Marilyn Monroe. Aujourd’hui toujours autant célébrés, ces artistes ont leur propre étoile sur le Hollywood Boulevard. Mais rapidement, le temple du cinéma américain devient un lieu de luxure et d’excès : sexe, drogue, prostitution et violence y sont monnaie courante.

Face aux excès du monde hollywoodien est instauré le code Hays en mars 1930 et est appliqué de 1934 à 1966. Fortement influencé par les institutions religieuses, ce code est initié par le sénateur républicain et puritain William Hays. Prémices de la censure audiovisuelle, le texte impose un respect des “valeurs morales des spectateurs [et] des standards de vie corrects” Il prohibe également de tourner en ridicule “la loi, naturelle ou humaine”. En bref, pas de scène d’amour, de violence ou de drogue à l’écran - du moins le moins possible. En réalité, ces obligations amènent les réalisateurs à briller d’ingéniosité pour les contourner : Alfred Hitchcock entremêle scène de baisers et dialogues dans Les Enchaînés (1946) afin de respecter l’obligation de ne pas faire durer un baiser plus de trois secondes consécutives [2].



… face aux regards attentifs des acteurs politiques

En plus des bonnes mœurs, les enjeux politiques et sociétaux se sont rapidement immiscés dans l’univers hollywoodien. La politique des États-Unis a influencé leur cinéma dès les années 1930. Voulant mettre fin à la politique isolationniste américaine face à la montée du nazisme sur le Vieux Continent, Franklin D. Roosevelt se plaît à encourager les productions hollywoodiennes politisées. Durant l’entièreté de ce mandat présidentiel - de 1932 jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale, l’industrie hollywoodienne multiplie les productions porteuses de messages politiques et promotrices d’un certain patriotisme américain. Par le documentaire, la satyre et l’allégorie, les studios diabolisent le nazisme : Esmeralda vient en aide au gitan juif dans Quasimodo (William Dieterle, 1939), Charlie Chaplin joue le rôle d’un dictateur regrettant ses pulsions fascistes et belliqueuses pour finalement adhérer aux principes de libertés américaines dans le très célèbre film Le Dictateur (Charlie Chaplin, 1940). Les vagues de cinéma politisé se renouvelleront pendant la Guerre Froide, avec un Hollywood producteur d’une forte propagande antisoviétique.


L’arrivée d’Adolf Hitler à la tête de l’État allemand a provoqué l’exil de nombreux acteurs et techniciens allemands à Hollywood. Artifact de l’attraction du projet politique et sociétal américain en Europe, ce fait révèle la force d’influence artistique et économique de la capitale du cinéma américain [3]. Le régime nazi s’est immédiatement intéressé à cette industrie en pleine ébullition. Considérant le cinéma - et l’image de manière plus large - comme un outil pour contrôler les populations en masse [4], Hitler a rapidement fait de Léni Riefenstahl, réalisatrice allemande, sa protégée. Elle a contribué à la propagation d’images de propagande, avec des moyens de production colossaux permettant un déploiement d’influence considérable.



Hollywood, nouvelle arme idéologique américaine

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la société américaine se développe. L’American way of life - mode de vie “à l’américaine” au XXe siècle, basé sur la consommation de masse - s’exporte partout, aussi bien dans le cinéma que grâce au cinéma. Le système des studios dut se métamorphoser avec l’émergence de la télévision chez les ménages américains et européens à partir des années 1950 et 1960. Certes, le nombre de films en couleur augmente mais c’est la TV qui s’en trouve le principal moyen de consommation. 60 millions d’entrées par semaine étaient recensées en 1950, contre 40 millions en 1960. Les dix prochaines années sont une période de transition pour Hollywood. Ce dernier réussit à retrouver une plus grande rentabilité, notamment par les rachats de majors par des conglomérats, en faveur de créations plus simples et grand public [5].


De plus, à la guerre contre le nazisme succède un combat contre le communisme mené par les États-Unis. La Guerre froide opposant le bloc de l’Est - rassemblé autour de l’URSS - et le bloc de l’Ouest va lancer une “guerre des images”. Les États-Unis vont utiliser le crédo du patriotisme en produisant un nombre incalculable de films de guerre. Omniprésents sur la scène internationale, ces films dépeignent systématiquement le soldat ou la figure de l’armée sous différentes formes. Le modèle américain et les valeurs qui en découlent sont ainsi promus dans un contexte où deux idéologies s’affrontent indirectement sur les thèmes de la réussite, de la puissance et de l’engagement patriotique. Pourtant, la Guerre Froide est synonyme de remise en question pour Hollywood. En cause : les défaites militaires américaines (cf. guerre du Vietnam), les divers scandales venus entacher Washington (cf. Watergate) ou encore les deux krachs pétroliers de 1973 et 1978. La patrie américaine étant moins reluisante, elle fait moins vendre par voie de conséquences. C'est à ce titre qu’Hollywood est mobilisé pour redorer l’image des États-Unis, exacerbant l’American way of life, dopé aux valeurs de liberté, de démocratie et d’entreprenariat. Et ça fonctionne ! Donald W. Reagan, ancien acteur de série B, est élu président des États-Unis en 1980, avec pour slogan “America is back”. Dans un contexte de Guerre Froide avec des conflits dans la zone Indo-Pacifique vivement critiqués par l’opinion publique américaine, le pays avait observé une large dépréciation de son pouvoir militaire à échelle nationale depuis les années 1960. Mais la sortie de Top Gun de Tony Scott en 1986 engendre un revirement total de cette tendance pacifiste : l’armée américaine enregistre une hausse de fréquentation de 40% dans les bureaux de recrutement et l’US Navy elle-même aurait noté une hausse de 500% concernant le nombre de jeunes gens souhaitant être pilotes dans l’aéronaval [6]. Suivant cette dynamique visant à faire d’Hollywood un outil d’influence sur l’opinion publique, une cinquantaine de studios hollywoodiens a été mobilisée après les attentats du 11 septembre 2001. Afin que le septième art soutienne la nouvelle guerre dans laquelle s'engagent alors les États-Unis, Hollywood se mit alors à produire des films et séries (24H, NCIS, The Agency) sur le terrorisme et la force des États-Unis.



L’expansion du cinéma américain vers une hégémonie mondiale : de 1970 aux années 2000

Les années 70, 80 et 90 sont jalonnées de succès commerciaux encore plébiscités aujourd’hui. Sortie en salle du premier blockbuster Les Dents de la mer réalisé par Steven Spielberg en 1975, films d’action tel que Jurassic Park réalisé par Steven Spielberg et sorti en 1993 ou encore Titanic de James Cameron en salles en 1997… La mondialisation s'intensifiant dans les années 1990, les majors hollywoodiens bénéficient grandement de l’ouverture des frontières afin d’y proposer ses productions : la Corée du Sud à partir de 1988, la nouvelle Russie de 1989 et le Vietnam en 1994. Les années 1990 sont également marquées par une intensification des flux financiers. Japonais et Européens viennent investir en masse dans l’industrie hollywoodienne. Columbia est racheté par Sony (japonais) et Universal par Vivendi (français). Dans le sens inverse, les grands majors hollywoodiens investissent dans les productions étrangères. 300 films étrangers sont produits par ces investissements entre 1996 et 2004 [6]. Face à l’entrecroisement des financements et des influences étrangères, Hollywood tente d’imposer son modèle au monde, s’en retrouvant paradoxalement transformé par les résistances et défis (aussi bien techniques que politiques) à l’image de son évolution au cours du XXe siècle.


Dès ses débuts, le cinéma américain a été conçu comme une école de leçons morales et patriotiques. Hollywood a su s’inventer et se réinventer au fil du XXe siècle afin de devenir la première industrie cinématographique au monde en termes de rentabilité. En 2017, un tiers du marché cinématographique mondial est américain, soit plus de 10 milliards de dollars de recettes annuelles.



Mais alors, quelle est la recette magique qu’utilise Hollywood pour produire des films à succès dans le monde entier ? Le prochain article, à paraître fin février, analysera dans quelle mesure les productions hollywoodiennes s’inscrivent dans une cohérence cinématographique plus large, répondant à et produisant des normes politico-sociales variables selon les frontières franchies et les époques traversées.


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[1] La Manie Du Cinéma, “Comment est né HOLLYWOOD ?” dans Youtube [en ligne], 6 mai 2020, consulté le 6 janvier 2022, URL : https://www.youtube.com/watch?v=En2s_gVgX_s

[2] Charlotte CHAULIN, “Le Code Hays, Trente ans d’autocensure hollywoodienne” dans Hérodote [en ligne], 11 décembre 2020, consulté le 11 janvier 2022. URL : https://www.herodote.net/Trente_ans_d_autocensure_hollywoodienne-synthese-2839-58.php

[3] Documentaire de Karen THOMAS, Exils : de Hitler à Hollywood, 1h20, 2006

[4] Ophir LEVY, “Le cinéma ou le pouvoir de l’image au service de l’influence et de la propagande” dans Aerion [en ligne], 17 janvier 2020, consulté le 9 décembre 2021, URL : https://www.areion24.news/2020/01/16/le-cinema-ou-le-pouvoir-de-limage-au-service-de-linfluence-et-de-la-propagande/

[5] Nathalie DUPONT, “Les studios hollywoodiens et les années soixante : une période de transition” dans Matériaux pour l’histoire de notre temps, mars 2007, pp. 116-125, consulté le 12 janvier 2022. URL : https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2007-3-page-116.htm


[6] Rabino Thomas, De la guerre en Amérique : essai sur la culture de guerre, Perrin, Paris, 2011


[7] Nolwenn MINGANT, “Hollywood au 21e siècle : les défis d’une industrie culturelle mondialisée” dans Histoire@Politique, février 2013, n°20, pp. 155-167, consulté le 16 janvier 2022. URL :

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