reflet des relations et enjeux internationaux depuis la chute
Cet article s’inscrit d’une série éditoriale dédiée au “Syndrome du Mur de Berlin” ou comment l’image de la forteresse sert toujours le protectionnisme, conçue par Philippine Benmayor.
« L’entreprise que nous devons mener à bien est un investissement absolument stratégique et prioritaire pour la sécurité de la nation et de ses citoyens. » Mariusz Kamiński via Twitter, le 15 novembre 2021
C’est ainsi que le ministre de l’Intérieur polonais affirme la stratégie politique du gouvernement, un mois après l’approbation du Parlement polonais pour le projet de construction d’un mur sur sa frontière avec la Biélorussie. Aspirant à réduire l’immigration, celui-ci vient s’ajouter à la longue liste des murs déjà érigés sur le Vieux Continent.
Les murs ne sont pas un phénomène propre à la période contemporaine, ils ont toujours existé. Parmi les fortifications historiques majeures, il convient de citer le mur de Thémistocle - bâti autour d’Athènes au Vème siècle avant Jésus-Christ suite aux guerres médiques - et la très célèbre Grande Muraille de Chine. Conçues pour se protéger des invasions, certaines constructions ont perduré à travers les siècles. Aujourd’hui, les raisons qui conduisent à les bâtir sont diverses. La définition même d’un mur est multiple. Ce dernier désigne une séparation physique à la frontière entre deux États qui peut prendre la forme d’une barrière, de barbelés ou encore d’une véritable édification. Il peut également être idéologique comme la politique sud-africaine d’apartheid.
Ces murs perdurent et nourrissent nombre de débats politiques et sociétaux. Rares sont ceux qui tombent.
Plus de trente ans après la chute du mur de Berlin, le constat est sans équivoque : jamais autant de murs n’ont été bâtis depuis la fin de la Guerre froide. Il est alors nécessaire de s’interroger sur les raisons qui poussent les gouvernants à les ériger, mais aussi sur ce qu’ils reflètent de nos sociétés contemporaines et, par extension, de l’état des Relations internationales.
Une multiplication du nombre de murs depuis 1989
Six individus sur dix vivent dans un pays en partie « muré »
Selon un rapport corédigé par le think tank néerlandais Transnational Institute, le Centre delàs d’Estudis per la Pau de Barcelone et le groupe allemand Stop Wapenhandel, l’augmentation des fortifications transfrontalières est indéniable. De six murs transfrontaliers en 1989, le monde en recense soixante-six en 2020. Autrement dit, près de 60% de la population mondiale vit aujourd’hui dans un pays où il existe en partie un mur à ses frontières.
Cette augmentation est régulière depuis 1989 avant l’arrivée de vagues notables entre 2005 et 2015. Ces murs se multiplient pour des raisons géopolitiques ou bien migratoires. Ainsi, quatorze murs ont commencé à être érigés pour la seule année 2015.
L’Asie : leader des séparations transfrontalières suivie par l’Europe
Si l’on s’intéresse à présent à la répartition géographique, l’Asie arrive largement en tête avec trente-sept murs. Plus précisément, ces frontières transfrontalières se situent majoritairement en Asie centrale et méridionale. L’Europe poursuit le classement avec ses dix-sept édifices, majoritairement situés aux frontières extérieures de l’Union européenne. S'ensuit l’Afrique avec onze murs tandis que l’Amérique ne compte qu’un mur transfrontalier, qui fait néanmoins l’objet de nombreux débats médiatiques entre les États-Unis et ses voisins du Sud.
De la même façon, Israël prend la première place du classement des États qui dénombrent le plus de murs à leurs frontières avec six constructions. De leur côté, le Maroc, l’Iran et l’Inde en comptent trois, suivis par l’Afrique du Sud, la Lituanie, la Hongrie, la Turquie, la Jordanie, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Kazakhstan et le Turkménistan avec deux murs.
Pourquoi ériger un mur ?
Telle est la question qu’il faut se poser pour comprendre les raisons qui poussent à ces édifications. Elles sont de deux ordres : géopolitiques et migratoires.
Des raisons conflictuelles
D’une part, les États peuvent prendre la décision de fonder un mur sur une partie de leurs frontières pour des raisons conflictuelles. C’est notamment le cas entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Suite à la guerre de Corée de 1950 à 1953 qui aboutit à un statu quo ante, les deux États établissent une zone démilitarisée (DMZ) sur le 38ème parallèle. Cette dernière a perduré à travers les décennies, jusqu’à aujourd’hui. La DMZ constitue alors un héritage politique pour les différents dirigeants de la péninsule coréenne. Elle représente aujourd’hui l’une des frontières les plus fermées et dangereuses au monde entre deux États qui n’ont toujours pas signé de traité de paix depuis l’armistice de Panmunjeom du 27 juillet 1953. Au contraire, la péninsule est régulièrement secouée par des périodes de tensions, comme la guerre des décibels ou les essais nucléaires nord-coréens.
De la même façon, les murs sont un outil pour affirmer la souveraineté territoriale d’un État. Ce phénomène s’observe avec Israël. Fondé en 1948, l’État hébreu ne cesse d’accroître ses possessions territoriales dans le contexte du conflit israélo-arabe et israélo-palestinien. A l’été 2002, le premier ministre Ariel Sharon prend la décision de construire un mur de séparation long de 700 km en Cisjordanie afin d’isoler les colonies juives des villes et villages palestiniens. Cette construction est un moyen de délimiter les frontières d’un État par la force, au détriment des Palestiniens. Par conséquent, l’établissement d’un mur est un instrument permettant de renforcer son assise et sa souveraineté dans le cadre d’un différend territorial. Israël est un État dont la création a été largement contestée par ses voisins arabes et les Palestiniens.
Cela explique également pourquoi Israël est l'État qui compte le plus de murs au monde : sur la Cisjordanie et la bande de Gaza ainsi qu’avec ses voisins égyptiens, libanais, syriens et jordaniens. Les murs font ainsi partie intégrante de la stratégie israélienne pour garantir sa souveraineté territoriale.
Des raisons migratoires
D’autre part, un État peut choisir d’ériger un mur dans le but de freiner l’immigration illégale. Le plus connu est bien évidemment le mur américain avec son voisin mexicain. C’est le président Ge
orge H. W. Bush qui a débuté la construction d’un grillage à San Diego en 1990 et qui sera poursuivi par ses successeurs, sans exception. Bill Clinton ajoute ainsi 14 km avant que le Congrès n’approuve le Secure Fence Act en 2006 sous la présidence de George W. Bush, autorisant la construction d’une barrière de 1100 km afin de réduire l’immigration et le narcotrafic. Achevé en 2011, les présidents Obama puis Trump étendront davantage cette séparation transfrontalière.
Cependant, les États-Unis sont loin d’être les seuls à mettre en œuvre ces constructions. Par exemple, l’Union européenne n’est pas en reste avec ses frontières extérieures. L’Espagne dispose de fortifications avec ses enclaves de Ceuta et Melilla depuis les années 1990 tandis que les pays baltes ont chacun réalisé un mur avec leur voisin russe, deux décennies plus tard. Avec la crise migratoire de cette même décennie, bon nombre de pays ont également suivi cette même stratégie afin de fermer les portes de l’Europe, via la Turquie notamment. C’est dans ce contexte que vient s’ajouter la construction d’un nouveau mur en Europe entre la Pologne et la Biélorussie, suite au feu vert accordé par le Parlement polonais.
Bien que le sujet s’intéresse aux murs transfrontaliers, il est important de souligner que des États possèdent des barrières au sein même de leur territoire. C’est le cas du Pérou, où l’État a construit un mur à la périphérie de sa capitale Lima. Plus communément appelé le mur de la honte, celui-ci vise à séparer les classes sociales avec, d’un côté, les naufragés du système sans accès à l’eau et l'électricité et, de l’autre, les Péruviens aisés.
Ainsi, le nombre de soixante-six murs recensés en 2020 peut largement être réévalué si sont ajoutés les murs intra étatiques et idéologiques à ces séparations transfrontalières.
Des constructions à l’image de l’état des Relations internationales
Une illustration des enjeux internationaux actuels
Cette multiplication des frontières fermées est également révélatrice des tensions internationales qui subsistent et émergent. Les conflits interétatiques peuvent être à l’origine des murs qui montrent un enlisement de la situation dans la région, sans aboutir à une solution ou un accord. Cette absence ou ce refus du dialogue attisent donc les tensions au détriment des pourparlers. Ils démontrent donc une crise du multilatéralisme, voire du bilatéralisme. D’autant plus que la décision d’ériger un mur est le plus souvent unilatérale bien que les deux parties puissent suivre la même voie, comme avec la DMZ au sein de la péninsule coréenne.
Les murs incarnent aussi les enjeux internationaux comme l’immigration illégale, la lutte contre le terrorisme et la question de la souveraineté. Ces fortifications sont alors le symbole du repli sur soi et de l’immobilisme. Parallèlement, on assiste à un retour du nationalisme, associé au protectionnisme, dans plusieurs de ces États. Les murs ne sont alors qu’une traduction et un reflet de l’évolution de la société internationale depuis 1989. Ils illustrent les problèmes majeurs internationaux actuels pendant que ces constructions font l’objet de débats auprès de l’opinion et des médias.
Les différentes justifications politiques de ces constructions
Il est aussi nécessaire d’observer les justifications apportées par les gouvernants pour la mise en œuvre de ces multiples murs. Pour 32% d’entre eux, c’est l’argument de l’immigration qui est retenu. S’ensuit le terrorisme pour 18% des murs, 16% pour la contrebande de biens et de personnes, 11% pour les différends territoriaux, 10% pour le narcotrafic et 5% pour l’entrée de militants étrangers. Ces arguments permettent aux chefs d’État et de gouvernement de justifier leurs constructions face aux possibles contestations et oppositions politiques, citoyennes et médiatiques.
Mais quels sont les réels effets de ces murs ? Sont-ils une réussite ? Permettent-ils de lutter efficacement contre l’immigration illégale ou le terrorisme ? Ce sont autant de questions auxquelles il faudra répondre dans la seconde publication consacrée à cette thématique des murs en tant que frontières transfrontalières.
Ce sera également l’occasion de montrer la face cachée des murs dont les constructions font l’objet d’intérêts majeurs pour les entreprises de l’armement, de défense, du BTP… Ces grands groupes influencent la politique de sécurité des États en remportant les contrats visant à l’édification ou à la surveillance aux frontières. Ainsi, avec une évolution de six à soixante-six murs recensés entre 1989 et 2020, ces séparations transfrontalières ne cesseront de représenter un commerce d’avenir fructueux.
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